A quel point le Fairphone 2 est-il recyclable?
Cet article a été traduit de l’anglais par Victor Liautaud, de l’association Loweee.
Depuis l’aube de l’ère industrielle jusqu’à aujourd’hui, la majorité de nos produits ont été créés selon les principes d’une économie linéaire: nous trouvons des ressources, fabriquons un produit, puis nous en disposons quand nous en avons fini. Mais ces dernières années, il y a eu une prise de conscience croissante de la nécessité de passer à une économie circulaire: une approche de production qui vise à maximiser l’utilité des produits, des composants et des matériaux tout au long du cycle de vie. En termes de recyclage, cela signifie une récupération maximale des matériaux une fois que les produits atteignent la fin de leur durée de vie utile.
Alors que la circularité est certainement l’objectif à long terme, l’industrie manufacturière dans son ensemble et Fairphone n’ont pas encore toutes les capacités nécessaires pour en faire une réalité. Cependant, Fairphone pose les bases, une étape à la fois. Pour commencer, nous avons conçu le Fairphone 2 pour durer aussi longtemps que possible. Nous cherchons aussi à déterminer d’où proviennent chacun des matériaux du téléphone et on s’efforce d’identifier les différentes améliorations possibles des chaînes d’approvisionnement.
Notre dernière étape porte sur la phase de fin de vie. Finalement, quand ils ne seront plus utilisables ou réparables, ou réutilisés par quelqu’un d’autre, nos téléphones feront la transition triste de notre compagnon constant aux déchets électroniques. Et quand ce moment arrive, nous voulons comprendre comment le Fairphone 2 devrait être recyclé pour récupérer le plus grand pourcentage de matériaux. Lisez un résumé des résultats du rapport ou téléchargez le rapport Fairphone Recyclability.
Comment fonctionne le recyclage électronique?
Pendant longtemps, le recyclage a été perçu comme la panacée de la durabilité. Une fois que vous avez fini d’utiliser quelque chose, vous le recyclez (au lieu de simplement le jeter). Tout va bien, non?! Mais ce n’est pas si simple, bien sûr. Avez-vous déjà pensé à ce qui arrive aux produits après les avoir mis dans le bac de recyclage? Comment fonctionne réellement le recyclage?
Pour les produits qui sont faits d’un seul matériau (comme le verre), le processus peut être aussi simple que sa fusion à la réutilisation. Mais les produits de consommation complexes sont beaucoup plus délicats. Un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) sur le recyclage des métaux utilise une analogie intéressante: imaginez préparer votre café un matin. Il est facile de mélanger l’eau, le café, le lait et le sucre pour faire votre boisson (semblable à une économie linéaire). Mais si vous deviez le séparer à nouveau dans les quatre ingrédients originaux (comme exigé par une économie circulaire), ce serait moins évident.
Tout comme l’exemple ci-dessus, l’objectif du recyclage de l’électronique grand public est de récupérer autant de matériaux d’origines que possible sous une forme réutilisable. Ceci est obtenu en utilisant une combinaison d’étapes comprenant le démontage, la réduction de taille (déchiquetage), le tri physique et le traitement ultérieur.
L’efficacité du recyclage de l’électronique grand public dépend de la conception des produits, des propriétés des matériaux avec lesquels ils sont fabriqués, de la façon dont les déchets sont collectés et triés, et des processus de recyclage utilisés. Même dans le meilleur des cas, des ressources seront perdues à chaque étape. En outre, le processus de recyclage consomme également de l’énergie, ce qui signifie que les matériaux récupérés « coûtent » in-fine toujours à l’environnement. Vous pouvez lire les limites du recyclage dans le rapport du PNUE cité précédemment.
Faites entrer les experts: Analyse utilisant l’indice de recyclabilité
Pour nous aider à mieux comprendre les différentes questions liées au recyclage de l’électronique, nous nous sommes tournés vers deux esprits très brillants: Dr. Antoinette van Schaik (MARAS B.V.) et Prof. Dr. Dr. h.c. Markus A. Reuter (Freiberg, Allemagne), deux experts reconnus dans le domaine du recyclage, des technologies durables pour la métallurgie et la numérisation de l’économie circulaire. Nous leur avons demandé d’étudier la recyclabilité du Fairphone 2 en utilisant l’indice de recyclabilité et la «Matérial Flower» développés par van Schaik et Reuter.
Après l’achèvement de l’étude, nous avons identifié au moins 45 éléments différents (ou matériaux).
Avec cette étude, notre objectif était de rechercher la récupération potentielle de tous ces matériaux dans toutes les parties du téléphone – du boîtier externe jusqu’au plus petit condensateur.
Plus précisément, nous voulions savoir quelles méthodes de recyclage actuellement disponibles seraient les plus efficaces pour récupérer la plus grande quantité de matériaux et si la modularité pouvait avoir une quelconque influence sur l’amélioration de la récupération.
Pour le savoir, van Schaik et Reuter ont commencé avec l’importante quantité d’informations provenant des déclarations matérielles complètes que nous avions rassemblée auprès de tous les (sous-)fournisseurs que nous pouvions atteindre, et l’ont traitée avec l’outil logiciel HSC Sim 9 d’Outotec, Outil de simulation de séparation métallurgique et physique. Ce logiciel leur a permis de créer des modèles sur la façon dont les différents éléments, alliages, plastiques et associations de matériaux dans le Fairphone 2 se comportent dans les meilleures technologies de recyclage disponibles aujourd’hui et quelles techniques existantes pourraient offrir les taux de récupération les plus élevés.
Les modèles sophistiqués qu’ils produisent montrent non seulement ce qui pourrait être récupéré – ils révèlent également ce qui est perdu et à quel moment du processus de recyclage, ceci grâce aux simulations holistiques qui permettent de connaître la composition complète de pièces broyées. Par exemple, certains procédés entraînent une perte totale de magnésium due à l’oxydation, tandis que d’autres entraînent l’utilisation des plastiques comme combustible au lieu d’être récupérés.
Note: Le schéma ci-dessous montre le processus de simulation et de modélisation des processus métallurgiques. Nous avons également étudié le déchiquetage et le tri physique. Pour plus de détails, veuillez lire le document Fairphone Recyclability Report (en anglais).
L’extraction par fusion, le démantèlement et le déchiquetage: Trois voies de recyclage potentielles
L’étude a identifié et analysé trois différentes voies de recyclage potentiellement utilisables pour le Fairphone 2. Ces possibilités sont basées sur les différentes combinaisons des meilleures techniques disponibles que les entreprises de recyclage et de transformation utilisent. Mais il est bon de noter que les entreprises de recyclage se concentrent sur la récupération de matériaux spécifiques et donc toutes les techniques disponibles ne sont pas toujours utilisées sous un même «toit». Le but de cette étude est la récupération maximale et optimisée des matériaux et l’empreinte environnementale des meilleurs processus de recyclage. Cela implique que les voies de recyclage étudiées sont technologiquement et économiquement viables. Il peut y avoir des variations technologiques et économiques compte tenu des différents objectifs commerciaux des entreprises de recyclage.
1ère possibilité : L’extraction par fusion
Fonte totale des téléphones: Les Fairphones sont mis tout entiers dans un four métallurgique à haute température. Récupération des matériaux principalement sous forme de métaux, d’alliages et de composés inorganiques tout en utilisant l’énergie emmagasinée dans les plastiques.
2ème possibilité: Le démantèlement
Fonte sélective du téléphone: Séparation des modules du Fairphone 2 et mise en place des processus de récupération métallurgique et plastique les plus appropriés.
- Les modules caméra, coeur (carte mère et processeur), haut et bas sont envoyés dans un four métallurgique à haute température.
- Le module d’affichage passe à la fusion et au raffinage pour métaux légers afin d’obtenir une récupération optimale de matériaux tels que le magnésium.
- La batterie passe à un four à arc électrique (EAF), pour une récupération optimale des matériaux tels que le lithium et le cobalt.
- La coque arrière est envoyée dans une extrudeuse à plastique, pour un recyclage optimal du polycarbonate (plastique).
3ème possibilité: Le déchiquetage et le tri
Traitement physique et métallurgique: Retrait de la batterie puis mis en broyeur du reste du téléphone. Les copeaux sortis du broyeur sont ensuite séparés vers les flux de traitement appropriés (pyrométallurgie, raffinage et récupération plastique).
Quel est le meilleur scénario de recyclage pour le Fairphone 2?
Sur la base des informations ci-dessus, pouvez-vous deviner quel est l’itinéraire gagnant?
En premier lieu, les chiffres:
Le scénario 1 (extraction par fusion) offre le plus faible pourcentage de matières récupérées en poids (14% des métaux recyclés, 25% de recyclage total des matériaux et 36% de récupération sur l’ensemble des matériaux (recyclage + récupération d’énergie)) et un faible nombre de matériaux différents récupérés.
Le scénario 2 (démantèlement + fusion sélective) offre une récupération plus importante des matériaux en poids (19% des métaux recyclés, 28% de recyclage total des matériaux et 31% de récupération+recyclage) ainsi que la plus grande variété de matériaux récupérés.
Le scénario 3 (déchiquetage) offre le plus haut pourcentage de matériaux en poids (22% des métaux recyclés, 30% de recyclage total des matériaux et 31% de recyclage + récupération), mais la variété des matériaux récupérés est plus limitée que le scénario 2 en raison de la création de mélanges complexes et des poussières inhérentes au déchiquetage/broyage.
Comme vous le remarquez, la réponse exige de trouver un juste équilibre dans l’ensemble des résultats chiffrés. Par exemple, si vous regardez seulement la récupération des métaux, vous verrez qu’il augmente considérablement du scénario 1 (niveau faible) au scénario 3 (niveau plus élevé). Mais si la voie 3 est la meilleure pour récupérer des métaux en vrac (non précieux) (normalement présents en grandes quantités), cette méthode se traduit par un recyclage de matières plastiques mixtes impures qui ne peut être que partiellement réutilisé pour les produits de consommation – à la place ils sont utilisés comme source secondaire de combustible.
Par conséquent, en vue de la variété des métaux récupérés, des plastiques réutilisables récupérés et de l’effort physique nécessaire au traitement, le scénario de recyclage n°2 est la meilleure option pour le recyclage du Fairphone 2. Il ressort également en tête lorsque vous considérez les impacts environnementaux et la récupération d’énergie. (Ces sujets seront traités dans le prochain blog Fairphone de cette série.)
Et parce que cette méthode repose sur le démantèlement partiel du Fairphone 2 et de ses composants modulaires, elle apporte un argument fort en faveur de notre approche de conception modulaire. De plus, la construction modulaire améliore la récupération d’éléments mineurs particulièrement précieux tels que l’or, plus que les métaux simples.
Les pourcentages de récupération des trois voies différentes représentent des résultats très élevés sur tous les matériaux du Fairphone 2. Mais les résultats de l’étude ont également révélé quelques éléments intéressants sur les taux de recyclage individuels des matériaux. Voici quelques exemples:
- Des matériaux tels que l’or, le cuivre, l’argent, le cobalt, le nickel, le palladium, le platine, le gallium, l’indium et le zinc peuvent être récupérés en pourcentage élevé (80 à 98%) et la modularité favorise leur récupération.
- Différentes voies de recyclage peuvent entraîner des taux de récupération différents pour certains matériaux. Par exemple, dans la voie 1, le magnésium s’oxyde complètement dans le four, ce qui signifie un taux de récupération de 0%. Cependant, en utilisant la méthode 3 vous pouvez le récupérer à 92% (le magnésium y est libéré puis trié des autres matières grâce à un recycleur de haute qualité), le scénario 2 permet un recyclage à 90% mais avec moins d’émissions de CO2.
- Le tungstène et le tantale sont très difficiles à récupérer, à moins que les pièces qui les contiennent soient enlevées et traitées séparément (offrant un argument pour étendre même la modularité).
- La récupération des matières plastiques dépend en grande partie de la quantité de plastique pouvant être séparée avant le début du recyclage ou du tri physique (un autre avantage en faveur de la conception modulaire).
Ainsi, comme vous pouvez le voir, si vous regardez les taux de récupération à un niveau macroscopique ou au niveau des matériaux individuels, un dispositif facile à démonter offre une variété d’avantages en matière de recyclabilité.
Que ferons-nous de ces résultats?
Combinée aux résultats de la cartographie de nos matériaux et de l’étude de la portée des matériaux, cette étude de recyclabilité nous donne un aperçu sans précédent des matériaux utilisés dans le Fairphone 2 à chaque étape de leur cycle de vie.
Nous utiliserons les résultats de l’étude de recyclabilité pour déterminer comment nous gérons la fin de vie de nos produits. Par exemple, elle déterminera les types de partenariats et les méthodes de recyclage que nous poursuivrons à l’avenir, favorisant une approche qui repose sur le démantèlement et le traitement direct par des procédés métallurgiques, de récupération d’énergie et de plastique appropriés pour maximiser la récupération des matériaux.
Cela signifie que nous devons soutenir activement les activités actuelles de l’industrie qui visent à trouver des moyens d’automatiser le démontage de l’électronique grand public, afin de réduire les coûts et rendre ce type de recyclage plus courant. En outre, nous pensons que la conception circulaire peut progresser en tenant compte de la souplesse nécessaire pour orienter les flux de matériaux vers les technologies de traitement appropriées.
Enfin, le succès des différentes voies de recyclage étant étroitement lié à la conception du produit, mais aussi aux procédés de fabrication et aux technologies inhérentes à l’électronique grand public, cette étude confirme notre hypothèse que la modularité peut avoir un impact direct et positif sur la recyclabilité. Ces résultats serviront à éclairer nos décisions de conception pour nos futurs produits. Notre prochain blog sur ce sujet examinera de plus près ce que signifie concevoir pour le recyclage et l’impact environnemental.
Au-delà d’informer nos propres décisions sur le cycle de vie des produits, nous espérons que le reste de l’industrie tirera profit des résultats de cette étude et s’inspirera pour recueillir des données similaires sur une gamme plus large de produits électroniques. Nous espérons également que les autres acteurs seront encouragés à examiner de plus près comment la conception des produits peut avoir un impact sur l’utilisation et la récupération des matériaux, tout en nous rapprochant d’une économie circulaire.
Cette étude a reçu un financement du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne dans le cadre de l’accord de subvention no 680640.